Il n’est pas aisé pour moi de rendre compte de la soirée du 27 février consacrée à Hubert Haddad.
Nous sommes partis avec lui tellement loin, au fin fond du Japon, dans un havre de paix loin de la fureur du monde.
Où trouver les mots justes capables de faire revivre cette douce émotion dans laquelle nous a plongés la voix d’Hubert lisant des passages de son livre ?
La poésie de ses mots a éclairé, tel le fil d’Ariane, notre déambulation dans le jardin protégé des regards où Maître Osaki et ensuite Matabei ont transposé leur désir de beauté, capable d’effacer l’espace d’un moment, l’inquiétude face à l’impermanence des choses.
Quelques personnages singuliers et fantasques que relie entre eux le besoin de se dérober à leur destinée, nous redisent, avec leurs douleurs et leurs déchirements que le Zen n’est pas un lieu tracé par les traits des hommes. Où se trouve la voie du Zen ? Existe-t-elle à l’extérieur de soi ?
Les Haikus, inscrits dans les replis de l’éventail, nous ramènent à l’autre question, celle de la vérité des choses, dans le réel ou dans l’apparence ? Ces questions mille fois posées, depuis la caverne de Platon, Hubert les redessine à sa manière dont il est le seul maître, sur le bout des mots, cachées dans le souffle de sa poésie.
Ce n’est pas la première fois que la peinture et l’écriture se mêlent les pinceaux dans l’œuvre d’Hubert Haddad. Dans Le Peintre d’éventail, peinture, musique et écriture procèdent d’un même mouvement qui rend possible de recréer la magie de ce qui a été et n’est plus, à condition de puiser dans les ressources infinies de l'imaginaire. Même après la catastrophe, celle de Fukushima, tout n’est pas irrémédiablement perdu, puisque la Transmission peut se faire.
Les créateurs, nous dit Hubert, sont « avant tout des gens qui ont voulu rendre compte d’une émotion souveraine, du tracé de la foudre en eux, qui sont dans le nécessité de rendre compte de cela, serait-ce en bègue. Ce bégaiement finit par devenir du style s’il est travaillé par une passion, par une volonté d’exprimer ce qui est au fond intraduisible »
A défaut d’être créateur, j’espère avoir donné à chacun de vous le désir de lire Le Peintre d’éventail, et c’est déjà cela.
Cultivons nos jardins, le mien est en semence grâce à la littérature.
Partons dans l’imaginaire, ce savoir commun à tous les hommes, qui nous trace un chemin de liberté où grâce aux mots chacun pourra se réinventer.
Merci Hubert pour ce beau conte philosophique, et merci pour cette leçon d'écriture que vous nous avez offerte concernant la restitution du vécu : l'idée de ce roman est née bien loin du Japon, en Haiti lors d'un voyage après le terrible séïsme qui a tout ravagé. Vous avez vu les dévastations et la désolation, vous avez vu les terribles souffrances. Vous vous êtes senti habité par l'urgence d'écrire les tragédies des créatures abondonnées. Pour réussir à écrire, il vous a fallu transposer tout cela ailleurs.
Je sais avec quelle attention vous ont écouté les participants aux ateliers d'écriture qui veulent entreprendre un récit autobiographique.
Neuf questions à Hubert Haddad, entretien réalisé par Ariane Singer pour Transfuge
Compte rendu de soirée par Béatrice Dejour venue de Rochefort pour assister à la soirée
J’ai quitté la douceur océane en fin de matinée pour un rendez-vous particulier. Roula m’a conviée à une rencontre inattendue. Des flocons légers dansent harmonieusement au-dessus de la rue des Martyrs. Je franchis un porche et pénètre dans une cour éclairée et calme qui s’ouvre sur un jardin clos. Un écrin de quiétude à deux pas de l’activité frénétique de la capitale. Après quelques marches, Roula m’accueille chaleureusement. Elle m’invite à rejoindre le lieu de la rencontre. Un ancien atelier d’artiste. Clin d’œil du peintre à l’écrivain… Chacun se fraie un chemin en quête d’une place. On fait connaissance, on échange au sujet de l’œuvre de l’invité. Les habitués évoquent de précédentes rencontres, ce qui les a touchés. Soudain, tous les regards se tournent vers l’entrée. Hubert Haddad arrive. Je pense à « Palestine », le roman lu l’été précédent, qui m’a tant bouleversée. Une invitation à se décentrer, à envisager des réalités différentes, à vivre la vie de l’autre, à endosser sa souffrance. Souffrance contre souffrance.
Roula présente chaleureusement Hubert Haddad, son œuvre, les univers qu’il a fait partager à ses lecteurs et ses deux derniers ouvrages, publiés simultanément. Le dialogue s’amorce. L’homme qui s’adresse à nous est « inclassable ». Il est le fruit de plusieurs cultures, de deux confessions, poussé sur l’autre rive de la Méditerranée. Très vite, je sens dans ses propos, qu’il ne s’inscrit pas dans un groupe, dans un « type » de pensée. Il semble dépasser les différences pour ne s’attacher qu’à l’être humain, à sa souffrance, à sa relation au monde. Il évoque les origines diverses des personnages du « Peintre d’éventail », leurs parcours chaotiques. Ils sont en marge. Le protagoniste, Matabei, fuit un drame personnel et une catastrophe naturelle. Hubert Haddad s’anime : il « vit » ses personnages et nous emmène dans son univers. Sa passion pour son travail d’écrivain, son extrême sensibilité, me touchent. Je me dis qu’il ne craint pas d’explorer les ténèbres de ses personnages et qu’il faut bien connaître les siennes pour cela… Admiration pour cet amour de l’autre en souffrance, que je sens se dessiner peu à peu. Il m’apparaît progressivement que l’art est central dans cette œuvre. Malgré une nouvelle blessure et une nouvelle catastrophe, Matabei ne fuit pas. Il paraît dépasser sa souffrance dans la peinture sur éventail, et perpétuer l’art que son maître disparu lui a transmis, presque malgré lui au début. Xu, le narrateur et disciple de Matabei, surmontant le différend né d’une passion commune, se fait lui-même le passeur de l’art de son maître. Art et transmission…
Hubert Haddad évoque sa passion pour les haïkus, les circonstances de l’écriture des premiers… qui ont précédé l’écriture du roman. Sans doute n’imaginait-il pas en écrivant ces poèmes qu’ils donneraient un jour naissance à une œuvre narrative. Mystères de la création…
Le dialogue se termine par quelques questions, par un échange avec le public, collectif, puis individuel. Il est rare que l’on puisse ainsi échanger avec un écrivain, dans le calme et dans une atmosphère harmonieuse.
La soirée s’achève sur un dîner oriental délicieux.
La voix d’Hubert Haddad poursuit son chemin dans les esprits et les rêves des participants.
« Le corbeau écoute
La croissance de l’arbre
Dans la nuit intense »