En 1998, pendant que je lisais LE DIT DE TIANYI, j'ai ressenti comme une urgence, celle de rencontrer l'écrivain qui a écrit le livre que j'étais en train de dévorer et de savourer à la fois, lisant et relisant avec impatience et attention chacune des pages. Je pense l'avoir lu trois fois la première fois.
La chance et surtout l'amitié ont permis cette rencontre.
Depuis, je suis devenue une inconditionnelle de ce poète, philosophe, calligraphe, traducteur, passeur, et surtout romancier, le roman étant pour moi l'art suprême, celui qui permet aux profanes de s'introduire dans les temples les plus réservés.
Ce livre m'a bouleversée, soudain des pages d'histoire s'éclairaient pour moi, du point de vue non des théoriciens mais de ceux qui ont vécu, subi ou participé aux évènements. Une nouvelle pensée faisait résonner d'autres pensées éteintes en moi depuis longtemps, j'avais comme repris un droit depuis longtemps banni, celui de m'extasier, d'admirer, de pleurer et de rire sans être automatiquement classée dans la catégorie des ringards sentimentaux. Une épopée franco-chinoise prenait vie, nouvelle odyssée qui me redonna un irrépressible besoin de peindre. Les pages sur la peinture occidentale et plus spécialement celle de la renaissance, sont éblouissantes. Cheng ne se contente pas de dire la beauté, il nous livre une vision, comme il l'explique page 162.
« La peinture chinoise est fondée sur un apparent paradoxe : elle obéit humblement aux lois du réel, dans toutes les manifestations du visible et invisible, et dans le même temps, elle vise d’emblée la Vision. Il n’y a en fait pas de contradiction. Car le véritable réel ne se limite pas à l’aspect chatoyant de l’extérieur, il est vision. Celle-ci ne relève aucunement du rêve ou d’un fantasme de peintre, elle résulte de la grande transformation universelle mue par le souffle-esprit. Étant mue par le souffle-esprit, elle ne peut être captée par l’homme qu’avec le regard de l’esprit, ce que les anciens appelaient le troisième oeil ou l’oeil de Sapience. Comment posséder cet oeil ? Il n’y a pas d’autre voie que celle fixée par les maîtres Chan, c’est-à-dire les quatre étapes du voir : voir ; ne plus voir ; s’abîmer à l’intérieur du non-voir ; revoir. Eh bien, lorsqu’on revoit, on ne voit plus les choses en dehors de soi; elles sont parties intégrantes de soi, il faut donc atteindre la Vision. »
Trois ans après, parut L'ETERNITE N'EST PAS DE TROP, et là, L'HISTOIRE continuait, la réflexion sur la beauté s'affirmait, l'amour occupait la seule place qui lui convienne, centre, centre de tout, du monde, de l'histoire, de la poésie et de la vie tout court, centre et en même temps conséquence de la beauté, cristallisation de l'harmonie de l'univers.
A défaut d'être poète, je m'empressais de partager avec ceux qui m'entouraient la beauté de ce texte si poétique.
La même année, parut LE DIALOGUE , court texte en lequel François Cheng nous livre ouvertement ses pensées sur sa double culture, il fait dialoguer les deux langues et les deux cultures en lui, l'HISTOIRE, la BEAUTE et la POESIE des mots tissent les liens entre les deux mondes qui l'habitent.
"On connait l'importance accordée par la pensée chinoise à ce qui se passe entre les entités vivantes, cernées par la notion du Souffle du Vide-médian, tant il est vrai que c'est bien dans l'"entre" qu'on entre, qu'on accède éventuellement au vrai." page 46.
En 2004, parut LE LIVRE DU VIDE MEDIAN, la philosophie et la pensée nous sont contées en cent deux poèmes, qui vont nous livrer la vision de TAO, et nous donner à palper ce VIDE médian qui va permettre la circulation du souffle chaque fois que le yin et le yang sont en présence, lui seul permettra aux deux de se réaliser, de s'accomplir, car la communion naît, non dans la fusion des deux, ni dans la disparition des deux, mais dans l'accomplissement des deux suite aux changements nés de l'échange.
" Non l'entre deux
mais bien le Trois
Souffle de vie
à part entière
Qui, né du Deux
mû par l'Ouvert
N'aura de cesse
de voir le jour
Temps imprévu
gonflé de sang
Nulle autre loi
qu'échange-change"
page 19
Bibliographie:
Romans
2002 L'éternité n'est pas de trop (Albin Michel)
1998 Le Dit de Tyanyi (Prix Femina) (Albin Michel)
Poésies
2005 À l'orient de tout (Gallimard)
2004 Le livre du Vide médian (Albin Michel) L'article du magazine LIRE
2003 Le long d'un amour (Arfuyen)
2001 Qui dira notre nuit (Arfuyen)
2000 Double chant (Prix Roger Caillois) (Encre marine)
1999 Cantos toscans (Unes)
1997 Trente-six poèmes d'amour (Unes)
1993 Saisons à vie (Encre marine)
1989 De l'arbre et du rocher (Fata Morgana)
1970 Analyse formelle de l'œuvre poétique d'un auteur des Tang : Zhang Ruoxu (Éd. Mouton)
Essais et traductions
2006 Cinq méditations sur la beauté (Albin Michel)
2002 Le Dialogue (Desclée de Brouwer)
2001 Et le souffle devient signe (L'Iconoclaste)
1990 Entre source et nuage, voix de poètes dans la Chine d'hier et d'aujourd'hui (Albin Michel)
1989 Souffle-esprit,( Le Seuil)
1984 Henri Michaux, sa vie, son œuvre (Éd. Ouyu, Taipei)
1983 Sept poètes français (Éd. Huanan Renmin Chubanshe, Chine)
1979 Vide et plein : le langage pictural chinois (Le Seuil)
1977 L’Écriture poétique chinoise (Le Seuil)
1973 Le Pousse-pousse, de Lao She (Robert Laffont)
Livres d’art
2004 Toute beauté est singulière (Phébus)
2000 D'où jaillit le chant : la voie des oiseaux et des fleurs dans la tradition des Song, éd. Phébus, 2000
1998 Shitao : la saveur du monde (Prix André Malraux) (Phébus)
1986 Chu Ta : le génie du trait (Phébus)
1980 L'Espace du rêve : mille ans de peinture chinoise (Phébus)
Très bel évènement le 4 juin! J'espère que nombreux seront les participants. A signaler aussi aux amateurs de beau, le merveilleux livre de Daniel Arasse : "on n'y voit rien". Il y voyait bien, lui. En version CD Rom aussi avec la voix de l'auteur. Merci et bravo
Rédigé par : barbara nativel | 18 mai 2008 à 18:02